Monsieur l’abbé,
Si je prends la liberté de vous adresser une lettre ouverte, c’est que vos divers actes et déclarations ces derniers mois me peinent profondément. J’ai eu l’occasion sur le Forum catholique au printemps dernier de retranscrire intégralement et spontanément plusieurs de vos conférences de Carême tant elles m’avaient paru riches et passionnantes. Plusieurs de mes amis sédévacantistes me l’avaient alors reproché du fait des divergences doctrinales essentielles que j’avais déjà avec vous, comme d’ailleurs avec toute la mouvance « lefebvriste », sur la question de l’autorité dans l’Eglise, de l’una cum, de l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel, du primat de juridiction du pape, de la notion d’Eglise conciliaire, de la validité des nouveaux rites sacramentels. Je ne le regrette pas cependant car les conférences essentiellement spirituelles que j’avais retranscrites .étaient dignes d’éloge et je suis de ceux qui pensent qu’il faut se délecter du miel partout où on peut le trouver, au-delà des étiquettes. L’ouverture d’esprit n’est pas incompatible avec le fait d’avoir des convictions fortes, à condition bien sûr de ne pas avancé masqué, de ne faire aucune concession sur le fond et de tenir à tous le même discours. Mais surtout je vous reste reconnaissant d’avoir organisé en mai 2005 ce débat sur ce sujet tabou qu’est et que demeure plus que jamais le sédévacantisme. Sans doute reste-t-on toujours quelque peu sur sa faim à l’issue de telles réunions car tout ne peut jamais y être dit mais enfin vous avez eu le mérite, fût-ce l’espace d’une soirée, et contrairement à beaucoup d’autres, de ne pas éluder cette question ô combien essentielle et votre attitude fut à cet égard profondément honnête et courageuse. Je tiens encore par la présente à vous en remercier du fond du coeur.
C’est donc avec d’autant plus de chagrin que je vous ai vu multiplier ces derniers mois les signes objectifs d’un ralliement à la Rome de Benoît XVI. Le 19 novembre sur Radio Courtoisie vous déclariez ainsi : « J'ai signé un document en quatre points dont les deux premiers je les ai déjà signés à Ecône avant mon ordination, je n'en parle donc pas. Les deux derniers, sont que je m'engage à une critique constructive de Vatican II, ce que je fais avec joie, cette critique constructive, j'ai essayé de la mener depuis longtemps, l'un des seuls à prendre le texte de Vatican II de front, et je continuerai à le faire. Le deuxième point est du même ordre, je m'engage à préparer les conditions d'une réception authentique du Concile Vatican II ». C’est beaucoup accepter en échange d’un mini-celebret ! Qu’il est loin le temps où, interrogé par Rivarol, le 13 juin 2003, vous expliquiez que « pour en finir avec la crise de l’Eglise, il faut rejeter Vatican II » !
En décembre paraissait le premier numéro de votre nouvelle revue Objections. La une était déjà tout un programme : « Notre supplique à Benoît XVI le pape qui corrige Vatican II ». Et pour être sûr que l’on ait bien compris, vous en remettiez une louche dans le deuxième numéro : « Il est bien évidemment impossible que l’Eglise condamne le Concile, ce serait se condamner soi-même et porter un coup fatal à son autorité, déjà bien ébréchée dans la crise post-conciliaire. Si on ne peut le rejeter entièrement, il faut donc le « recevoir ». C’est à le « recevoir » que nous exhorte le pape Benoît XVI. Le Synode de 1985 pour les vingt ans de la clôture du Concile s’était démarqué déjà du langage habituel. Alors que les papes, jusque-là, exhortaient leurs ouailles à « appliquer » le Concile, à partir de 1985, les textes officiels demandent simplement de le « recevoir ». »
Ce n’était pas le discours que vous teniez jusque-là, Monsieur l’abbé. Manifestement la disparition de Pacte et de Certitudes au profit d’Objections n’est pas un simple changement cosmétique. Il s’agit d’un virage, d’un renversement de ligne. Les mots ne sont d’ailleurs pas innocents : il ne s’agit plus de défendre des certitudes mais simplement d’émettre de timides objections. Il semble d’ailleurs, à la lecture des trois premiers numéros, que d’objections il n’y en aura guère à l’endroit du successeur de Jean Paul II comme d’ailleurs de Vatican II qu’il ne s’agit plus désormais de condamner, de rejeter, de combattre mais d’ « interpréter à la lumière de la Tradition ».
Voilà près de trente ans que l’on nous bassine avec cette formule destinée à nous faire accepter l’inacceptable comme si Vatican II tant dans sa lettre que dans son esprit, tant par lui-même que dans toutes les réformes qui en sont issues, était compatible avec la Tradition bimillénaire de l’Eglise ! C’est d’ailleurs Jean Paul II lui-même qui, à peine élu, lors de son premier message au monde le 17 octobre 1978, déclarait à propos de la constitution conciliaire Lumen gentium, : « L’adhésion à ce texte conciliaire, vu à la lumière de la tradition (…) sera pour nous tous, pasteurs et fidèles, le secret d’une orientation sûre. » Jean Madiran, dans le numéro 63 du Supplément-Voltigeur (15 décembre 1978) avait été séduit par cette expression wojtylienne. C’est de cette époque, et non des sacres de 1988, contrairement à ce que beaucoup croient, que date le retournement du directeur d’Itinéraires. « Nous avons bien lu, « vu à la lumière de la tradition ». C’est un renversement de perspective; un renversement qui est une remise en ordre écrivait Madiran. Paul VI voulait imposer à Mgr Lefebvre de reconnaître aux innovations pastorales de Vatican II autant d’autorité et plus d’importance qu-aux formulations dogmatiques du concile de Nicée. Toute l’Eglise post-conciliaire travaillait à réviser la tradition catholique à la lumière de Vatican II. Si l’on en vient enfin à rétablir le principe qu’il faut au contraire interpréter Vatican II à la lumière de la tradition catholique, alors il n’y plus d’opposition radicale entre Mgr Lefebvre et le saint-siège au sujet du concile. Il ne subsiste que des difficultés accidentelles, mais avec le moyen de les résoudre : une même méthode, un même esprit, une même foi ; une même référence aux critères souverains, aux vrais critères, qui sont la tradition et les formules dogmatiques. »
Vous partagez avec Benoît XVI, Monsieur l’abbé, la même illusion que celle de Madiran avec Jean Paul II. Curieuse quand même cette hécatombe dans la résistance traditionaliste avec l’arrivée sur le trône de Pierre d’un nouvel occupant ! Car enfin Jean Paul est l’homme d’Assise, du baiser au Coran, de (MODERE: AFFIRMATION INSULTANTE) et Benoît XVI qui fut un quart de siècle son plus fidèle collaborateur est son digne héritier. Dès son avènement, dans son premier discours au « Sacré Collège », il citait cinq fois Vatican II et onze fois Jean Paul II dont il a depuis accéléré l’ouverture du procès en béatification, déclarait sa « volonté ferme et certaine de continuer l’exécution du concile Vatican II sur les traces de nos prédécesseurs ». Le dialogue interreligieux, l’œcuménisme libéral et la collégialité (qui sera encore renforcée) dont le refus est au cœur du combat traditionaliste depuis quarante ans sont plus que jamais au programme du règne ratzinguérien. L’allégeance aux juifs et à la (MODERE)est encore plus grande que celle de feu le pontife polonais comme en témoignent la mise en sommeil de la béatification du père Dehon, la réception au Vatican des grands dignitaires du judaïsme et la visite à la synagogue de Cologne en marge des grotesques et abominables Journées mondiales de la jeunesse. Quant au fameux Compendium, il n’est jamais qu’un résumé du Catéchisme (MODERE) de l’Eglise catholique, lui-même résumé de Vatican II, façon de graver dans le marbre les erreurs et hérésies du conciliabule.
Mais ce qui a fait déborder le vase, Monsieur l’abbé, c’est ce « carrefour apostolique » à Paris avec Mgr Rifan et l’abbé Paul Aulagnier. Que vous ayez donné le sentiment d’approuver en tous points ce que disait ce super-rallié, dont le discours se situe à la gauche de la Fraternité Saint-Pierre, et qui est un reniement intégral des raisons de la résistance catholique à la nouvelle église est proprement stupéfiant. Car outre que ce prélat brésilien manifestement très content de lui, (MODERE: MERCI DE CONSERVER LE RESPECT DU AUX CLERCS) (moi je suis évêque et c’est un sacrifice pour moi d’être ici ce soir, moi je suis très fatigué d’être critiqué, moi j’ai été raccompagné à ma voiture par le nonce, moi j’ai une juridiction, etc, etc,etc) n’a fait que projeter son propre vide, il nous a expliqué que la nouvelle messe était catholique, que l’attachement à la messe tridentine n’avait au fond rien de doctrinal mais qu’il s’agissait de défendre la beauté de la liturgie, du chant grégorien, de l’orgue (très important l’orgue !), du latin. Peut-on davantage se moquer du monde ? On peut certes prendre les gens pour des imbéciles mais à condition qu’ils ne s’en aperçoivent pas !
Qu’il est loin le temps, Monsieur l’abbé, où dans un coruscant éditorial de Pacte intitulé « Ce que nous ne signerons jamais » (avril 2002, numéro 64), vous n’aviez pas de mots assez durs contre le honteux ralliement de celui qui était encore l’abbé Riffan. Au terme d’un réquisitoire de trois pages entières où vous tiriez à boulets rouges sur la trahison de la communauté de Campos, vous concluiez : « D’ores et déjà on peut dire non seulement que la solution de la crise de l’Eglise ne viendra pas du Brésil, mais encore que le décret d’érection de l’administration apostolique représente une régression spectaculaire de la Tradition, même par rapport aux acquis de la Fraternité Saint-Pierre ». Vous me permettrez, Monsieur l’abbé, de préférer cet abbé de Tanoüarn-là à celui d’aujourd’hui. Je suis tenté de vous paraphraser : vos actes, vos déclarations ces derniers mois, vos silences devant les propos insupportables de Mgr Rifan, constituent une régression spectaculaire, même par rapport aux acquis de la Fraternité Saint-Pie X.
Par sympathie pour votre personne, je ne pouvais taire plus longtemps ce qui m’apparaît comme le naufrage d’un être intelligent, merveilleux commensal, brillant conférencier mais qui, peut-être parce qu’il ne supporte pas de rester seul (mais combien étaient-ils au pied de la Croix ou dans l’arche de Noë au moment du déluge ?), peut-être parce qu’il se lasse d’une crise de l’Eglise qui s’éternise (mais le temps ne fait rien à l’affaire : le Bon Dieu nous demande de rester fidèle et non pas d’avoir des résultats tangibles ici-bas. L’Eglise est un organisme surnaturel et non pas une entreprise), peut-être parce qu’il aime le paradoxe et les coups d’éclat (mais Notre-Seigneur ne nous dit-il pas dans l’Evangile : « que votre oui soit oui et que votre non soit non, tout le reste vient du démon » ?) préfère entrer de plain pied dans le giron de la (MODERE). Au risque de s’y perdre, lui et tous ceux qui le suivront par amitié, par copinage, par confiance aveugle, par admiration pour sa belle intelligence.
Comment pourrais-je ne pas avoir le cœur lourd et les yeux embués de larmes devant un tel gâchis dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences ?
Je vous assure, Monsieur l’abbé, de mes prières affligées.
Petrus.