Ces dernières semaines j'ai jugé plus sage de me retirer temporairement du FC tant l'unanimisme soviétoïde autour de Jean-Paul II, déjà médiatiquement canonisé, empêchait toute voix discordante de s'exprimer. O combien révélatrice des hommes de notre temps, cette unanimité dans la louange, du Front national au Parti communiste, de La Croix à Présent, de L'Humanité à National-Hebdo, de Libération à L'Action française 2000, du Hamas à Ariel Sharon, de Cuba à l'Italie, des juifs aux musulmans, des bouddhistes aux protestants, des croyants aux athées. Le pontife d'Assise reçoit ici-bas sa récompense. Elle est grandiose. Elle est universelle : un milliard de téléspectateurs pour ses funérailles, un à deux millions de personnes présentes Place Saint-Pierre et aux alentours.
Qu'en sera-t-il au Ciel? Dieu seul le sait mais me revenaient à l'esprit lorsque résonnaient toutes ces louanges dithyrambiques la prophétie de Notre-Seigneur à Ses Apôtres dans l'Evangile selon saint Jean : "Le monde vous haïra comme il m'a haï" et la huitième Béatitude dans l'Evangile selon saint Matthieu : "Heureux serez-vous quand on vous insultera, qu'on vous persécutera et qu'on vous calomniera de toute manière à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux : c'est bien ainsi qu'on a persécuté les prophètes, vos devanciers" (Matthieu, V, 11 et 12). Avouez que nous en sommes loin. Et que notre monde apostat, matérialiste, hédoniste, relativiste adule ainsi Jean-Paul II devrait, me semble-t-il, être matière à réflexion.
Mais comme une image chasse l'autre, voici l'avènement de Benoît XVI. Alors là, ce ne sont plus les pleurnicheries médiatiques qui ont accompagné la mort de Jean-Paul II, c'est une délirante bouffée d'enthousiasme qui submerge la quasi-totalité de la galaxie traditionaliste comme en témoignent tant les messages euphoriques sur le FC que le communiqué de Mgr Fellay, les déclarations très optimistes de l'abbé Régis de Cacqueray au Figaro, les interventions des abbés Barthe et de Tanoüarn sur Radio Courtoisie, l'emballement de l'abbé Aulagnier ; ça frétille, ça s'excite, ça s'enthousiasme! Attention, messieurs les abbés, l'excitation, c'est comme les moules pas fraîches, quand on en abuse, ça fait mal au ventre!
Toujours est-il qu'on assiste à une course au ralliement à l'église conciliaire de tous les côtés de Tradiland. C'est à celui qui arrivera le premier sur la ligne d'arrivée décrochant le pompon du philoratzinguérisme. L'abbé Barthe, longtemps sédévacantiste, est désormais officiellement una cum famulo tuo Papa nostro Benedicto au canon de la messe. Du côté cacquerayso-fellaysien comme du côté laguéro-tanoüarnien on ne parle que de régularisation canonique.
Le vent d'enthousiasme qui avait suivi l'élection de Jean-Paul II avait divisé et neutralisé une grande partie de la résistance traditionaliste. C'est à cette époque que Mgr Lefebvre a commencé la chasse aux sédévacantistes parmi ses prêtres et ses séminaristes à la grande joie de Dom Gérard et de Jean Madiran. Car il en va à Tradiland du sédévacantisme comme du révisionnisme dans la société : c'est sulfureux, c'est tabou, n'en parlons pas, je vous en prie. Nous sommes entre gens bien élevés, n'est-ce pas?
Eh bien la neutralisation de la réaction traditionaliste, déjà fortement amorcée sous le règne de Jean-Paul II, est en voie d'achèvement sous le règne de Benoît XVI. Je suis personnellement prêt à parier qu'avant la fin de la décennie, et probablement bien avant, la FSSPX se sera ralliée à l'église post Vatican II. Tout ça pour ça serait-on tenté de dire? Après trente ans de dissidence envers une autorité reconnue comme légitime contre vents et marées, voilà que l'on prépare en douceur le ralliement des quatre évêques, des 450 prêtres et des quelques dizaines de milliers de fidèles de la FSSPX et des oeuvres amies. Peu importe que Joseph Ratzinger ait redit, une fois élu, sa ferme volonté d'appliquer Vatican II, l'oecuménisme, la collégialité, le dialogue interreligieux, peu importe qu'il soit appuyé par le courant néo-conservateur américain, peu importe que son élection ait été chaleureusement applaudie par les juifs et par le clan Bush, peu importe qu'il fut le premier naguère à reconnaître la prétendue responsabilité de l'Eglise catholique dans l'"Holocauste", aucune réserve, aucune critique n'est désormais permise. C'est l'extase à Tradiland!
Après Mater Ecclesiae, Dom Augustin (1986), la Fraternité Saint-Pierre, les soeurs de Pontcallec et le Barroux (1988), l'Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre (1990), la Société Saint-Jean (1999), Campos(2002), ne reste plus qu'à avaler la FSSPX qui manifestement ne demande que cela. Les prêtres lassés, fourbus (30 ans, c'est long!), divisés (crise de Bordeaux, puis à Paris, crise des séminaires, problèmes graves dans le district d'Allemagne, en Amérique), les fidèles désireux de revenir à la pleine communion avec les conciliaires, les jeunes de s'insérer pleinement dans la vie sociale et professionnelle, ce qui est plus facile quand ne pèsent pas sur soi la sentence d'excommunication et l'accusation de schisme, tout concourt à un ralliement rapide et en bonne et due forme.
Que les "tradi" ne s'inquiètent pas : on leur laissera la place pour la messe traditionnelle dans le Panthéon d'Assise! Et s'ils veulent en plus le Syllabus, ils l'auront! A côté de Vatican II! Quand on aime, on ne compte pas! Pie IX et Jean XXIII béatifiés en même temps, c'est-à-dire tout et son contraire!
Et le jour où la FSSPX se ralliera, je vois d'ici les manchettes : "Grand jour pour l'Eglise", "Victoire pour la Tradition". Avec un grand T comme tartuferie!
Comme me faisait justement remarquer une dame à la pointe du combat depuis trente ans : "que vouliez-vous qu'il sortît de bon d'une source empoisonnée comme Lefebvre qui a dit et fait tout et le contraire de tout?"
En une phrase, tout est dit.
Chapeau, la FSSPX!
Rideau!
Petrus.